Discours d’ouverture de Christian Eyschen
IXème Congrès de l’AILP (Grenoble/Lyon) des 10 et 11 octobre 2025 –
Monsieur le Maire de Grenoble,
Mesdames et messieurs les Édiles,
Chers Amis, Citoyens, Compagnons, Camarades,

Ch Eyxchen (Fr), X. Yvert (E&S des LP), A. Riba (Esp), KP Wood (GB), P Costarella (Grenoble)
C’est avec un immense plaisir que je suis ici avec vous pour y dire quelques mots en tant que porte-parole de l’Association internationale de la Libre Pensée. Au nom de tous les porte-paroles, je vous adresse notre salut amical et fraternel. Je suis heureux de voir physiquement ou en numérique au cours de ces deux journées beaucoup d’amis que je salue aussi.
Tout d’abord, je voudrais tous vous remercier d’être présents, venus parfois de si loin, venus de tous les continents pour participer à ce grand moment de fraternité et de camaraderie dans la Libre Pensée. Je voudrais aussi remercier chaleureusement Monsieur le Maire et la Municipalité de Grenoble de nous avoir aidés considérablement pour la réussite de notre Congrès. Notre reconnaissance est grande. Je voudrais aussi associer à ces remerciements mérités tous les Libres Penseurs de l’Isère qui ont œuvré inlassablement à cette réussite.
Je souhaiterais que nous nous levions tous pour les applaudir pour les remercier tous. Au nom de l’Association Internationale de la Libre Pensée : MERCI, VRAIMENT MERCI !
Alors, Bienvenue à Grenoble, bienvenue dans cette région qui s’appela le Dauphiné, car elle fut donnée au « Dauphin », futur Roi de France. Au XIVe siècle, ce prénom, Dauphin, devint un titre officiel lorsque la famille royale française l’adopte pour désigner les héritiers directs au trône. Jusqu’au XIXe siècle, les « dauphins » étaient les deuxièmes dans l’ordre de succession royale.
Le Dauphiné est une région historique et culturelle, jadis nommée Viennois (parce que Vienne fut par le passé la capitale de toute cette ancienne province viennoise), située dans le quart sud-est de la France actuelle et dont le siège était Grenoble. Cette entité apparaît dans l’ancienne Provence, et était une subdivision du Saint-Empire romain germanique, de ses origines au XIe siècle, jusqu’à son rattachement en 1349 au royaume de France.
En 1343, le roi de France Philippe VI de Valois avait décidé que, désormais, lui et ses successeurs, à qui appartiendra le Dauphiné, seront appelés Dauphins de Viennois. C’est ainsi que le nom de Dauphin fut créé pour désigner le possible futur Roi. La province continue à l’époque de s’étendre et acquiert sa forme définitive au XVe siècle. Le Dauphiné de Viennois devient alors la province du Dauphiné et conserve une certaine autonomie jusqu’en 1457.
Cette région n’a pas été épargnée par les Guerres de Religions, et c’est tout un symbole que de tenir ici un Congrès de l’Association Internationale de la Libre Pensée, association qui fut la grande bâtisseuse de la Laïcité en combattant et obtenant par de grandes lois laïques, d’abord la Laïcité de l’École publique, et ensuite celle de l’État par la Séparation des Églises et de l’État.
Toutes ces lois sont entrées dans l’Histoire en portant les noms de : Jules Ferry, René Goblet, Ferdinand Buisson, Aristide Briand, Jean Jaurès qui furent tous d’éminents membres de la Libre Pensée et qui agirent en tant que tels.
Cette région est aussi celle de la Révolution française, et d‘un certain point de vue, celle-ci commença bien ici. Le 21 août 1787, la province est la première à réclamer la tenue des États-Généraux. Le tournant décisif a lieu l’année 1788. Les femmes du peuple, paysannes et revendeuses sur le marché, ont défendu leur droit à l’existence, ce qui a entrainé la célèbre émeute appelée Journée des Tuiles du 7 juin 1788. Cette première grave émeute contre l’autorité royale suscite la réunion des États-Généraux du Dauphiné et conduit Louis XVI à promettre la tenue d’États-Généraux à Versailles, qui auront lieu moins de onze mois plus tard. La Révolution française va alors commencer et elle ne finira pas d’éclairer le monde.
C’est donc un honneur pour les Libres Penseurs de France de recevoir ici le IXème Congrès de l’AILP. Que de chemin parcouru depuis Oslo le 10 août 2011 où nous avons constitué l’Association internationale de la Libre Pensée ! Oslo, Mar del Plata, Conception, Montevido, Londres, Quito, Paris, Madrid et maintenant Grenoble associé à Lyon.

L’Association internationale de la Libre Pensée est devenue une véritable Internationale de la Libre Pensée, s’appuyant sur tout l’héritage de nos ainés et des Internationales précédentes.
Notre Association internationale s’inscrit dans la continuité de toutes les Internationales de la Libre Pensée qui ont existé depuis 1880. La Libre Pensée, comme la laïcité, est nationale dans sa forme et internationale dans son contenu. Elle vit dans la conscience de toutes celles et de tous ceux qui veulent conduire leur propre destinée sans se soumettre à une quelconque volonté divine, qui n’est toujours que le masque de l’oppression.
Le chemin de la conscience humaine pour se libérer n’a jamais été un long fleuve tranquille. L’Histoire amène toujours tout le monde à se positionner face aux événements et aux tâches que celle-ci pose comme dans un grand livre ouvert devant l’Humanité. C’est à elle, et à elle seule, de remplir les pages de sa destinée : l’Émancipation de l’Humanité sera l’œuvre de l’Humanité elle-même. Il ne saurait y avoir de sauveur suprême, ni dieu, ni césar, ni tribun.
Face à des événements considérables, les Libres Penseurs des différents pays ont pu apporter des réponses parfois différentes, mais toujours axées sur la pleine et entière liberté de conscience à conquérir ou à préserver.
Le principe de Séparation des Églises et de l’État et le principe de laïcité sont universels. En particulier, partout dans le monde, l’entière laïcité de l’École suppose la pleine Séparation de l’État et des religions, de même que la Séparation des Églises et de l’État, pour être la condition essentielle de la démocratie, nécessite de former dans une École, à l’abri de toute influence dogmatique, des citoyens libres, éclairés par la seule raison. C’est pour cela que, de tout temps, la Libre Pensée a été conçue comme une organisation internationale. Nous pensons que la laïcité est internationale dans son contenu et nationale dans sa forme.
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Pour pouvoir agir en ce sens, la Libre Pensée doit s’armer théoriquement et pratiquement pour pouvoir agir. C’est pourquoi, le Congrès international de Rome de 1904, qui a jeté les bases de la loi de Séparation des Églises et de l’État de 1905 en France, a – en même temps – définit son mode opératoire par une formule de Ferdinand Buisson que l’on pourrait résumer ainsi : elle est une méthode d’analyse et de réflexion et ouvre un champ d’action sociale de transformation de la société pour aller vers l’Intégrale Émancipation humaine dans tous ses aspects.
La Motion Buisson du Congrès international de Rome en 1904 disait : « La Libre Pensée n’est pas une doctrine, c’est une méthode – c’est-à-dire une manière de conduire sa propre pensée et, par là-même, sa propre action – dans tous les champs de la vie individuelle et sociale. Cette méthode ne se caractérise pas dans l’affirmation de vérités particulières, mais dans une proposition générale de recherche de la vérité – dans tous les domaines – uniquement avec les ressources naturelles de l’esprit humain, à la seule lumière de la raison et de l’expérience ».
Jean Jaurès reprendra quelques temps plus tard cette idée en disant : « La République n’est pas un dogme, ni même une doctrine, mais une méthode, celle de la plus haute efficacité par la plénitude de la liberté. »
Voici comment la Libre Pensée se définit alors : « La Libre Pensée est démocratique, laïque et sociale. Au nom de la dignité humaine, elle rejette le triple joug : du dogmatisme dans tous les domaines et en particulier, en matière religieuse et morale, du privilège en matière politique, du profit en matière économique » En clair, elle allie d’une part la pensée pour refuser le Dogme et d’autre part l’Action pour se fixer comme objectif une Transformation sociale de la société contre tous les privilèges, notamment politiques (contre le Totalitarisme) et économiques (contre l’exploitation de l’Homme par l’Homme). La Guerre allie d’ailleurs l’oppression politique et économique.

Après tout, un éminent Père de l’Église, Origène au IIIe siècle de l’Ère-Vulgaire, disait déjà : « il n’y a pas de Gnose sans Praxis et de Praxis sans Gnose ». C’était un théologien de la période patristique. Il est reconnu comme l’un des Pères de l’Église mais, contrairement à eux, il n’a pas été canonisé par l’Église catholique ni par l’Église orthodoxe, en raison de certaines de ses thèses qui furent rejetées par l’Orthodoxie chrétienne. Peut-être était-il trop « matérialiste » ne se contentant pas d’être un « pur esprit », loin des réalités terrestres ?
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Au cours de ce congrès nous débattrons particulièrement d’une des trois campagnes permanentes de l’AILP sur les crimes des Églises et de la nécessaire Justice à obtenir pour une Réparation de plein droit. Nous conclurons ce Congrès à Lyon en faisant une conférence publique commune entre la Libre Pensée et plusieurs Associations de victimes des crimes du Clergé. Ce sera historique à plus d’un titre.
Nous entendrons les victimes de l’Église et aussi le message du Père Vignon, le prêtre qui a mené une campagne vigoureuse pour la démission du Cardinal Barbarin, complice de l’omerta religieuse et médiatique sur les crimes et qui a contraint le Primat des Gaules à présenter sa démission au Vatican, qui lui aussi a été contraint de l’accepter, alors que le Pape l’avait d‘abord refusée.
Nous entendrons aussi une membre de l’Église catholique qui a été exorcisée contre sa volonté et que l’actuel Primat des Gaules a refusé d’entendre et de recevoir. Avec l’Église, c’est toujours « Retour vers le Moyen-Âge ». Comme nous avons invité celui-ci, l’actuel Primat des Gaules, à venir et à s’exprimer en toute liberté à cette conférence publique, car nous voulons toujours entendre avant de juger, elle obtiendra peut-être cette première satisfaction. Mais viendra-t-il ou se dérobera-t-il comme tant d’ecclésiastiques responsables avant lui ?
Nous vous invitons chaleureusement à participer à cette conférence et à ne pas rater cette initiative qui renoue avec les meilleures traditions de la Libre Pensée dans la controverse libre et courtoise et qui fera date. Un moyen de transport collectif est prévu pour s’y rendre et vous ramener ici si besoin.
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Nous étudierons aussi la perspective de mettre en œuvre une véritable Solidarité d’Entraide entre Libres Penseurs et militants de la laïcité dans le monde sur tous les continents quand ils sont dans la répression, la misère et l’oppression. Nous souhaitons que ce Congrès soit le point de départ de cette réflexion nécessaire et nous remercions toutes celles et tous ceux qui ont élaboré des contributions pour réfléchir ensemble à cette problématique. Et particulièrement nos amis et camarades de l’Association Solidarité laïque qui œuvrent déjà avec efficacité en ce sens dans une dimension plus générale. Leur point de vue nous sera donc très utile pour mener cette action internationale.
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Pour finir mon propos, je ne peux m’émanciper ou je voudrais dire que l’on ne peut s’émanciper de la question de la Guerre. Elle ne vient plus, elle est déjà là, avec tous ses ravages et destructions, ses bombardements et ses victimes, sa barbarie et ses génocides. Peut-on rester neutres face à tout cela ? Pour la première fois dans l’Histoire contemporaine, un génocide se fait sous nos yeux, en direct, avec une totale impunité pour les assassins. Le monde sait et il ne fait rien.
Le Grand Jaurès dénonçait déjà ce type de neutralité qui consiste à n’avoir ni pensée, ni efficacité intellectuelle et morale, car seul le néant est neutre à ce compte-là. Et c’est bien vers le néant que l’on va à Gaza et en Cisjordanie. Allons-nous calomnier, selon son expression, le passé et le présent pour ne pas construire un autre avenir possible ?

Vendredi soir, les participants au IXe Congrès se sont retrouvés autour d’un banquet fraternel
La Libre Pensée considère que toutes les religions, du Judaïsme en passant par le Christianisme et de l’Hindouisme jusqu’à l’Islam, sont des fauteurs de guerre, de réaction, de barbarie et de recul de la civilisation. Elle ne fait aucune distinction dans son refus de l’intolérance et du dogmatisme. Il suffit de voir la dramatique actualité des attentats et des assassinats sur tous les continents. La religion tue, les religions tuent et nous les considérons toujours comme les pires obstacles à l’Émancipation humaine.
Nous connaissons encore la guerre sur notre continent et sur d’autres aussi. Le Grand Jean Jaurès, toujours lui, avait dit « Le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l’orage ». Rappelons-nous aussi ce que disait le Manifeste internationaliste de la Conférence de Zimmerwald de septembre 1915 en pleine Première guerre mondiale : « Les capitalistes de tous les pays, qui frappent dans le sang des peuples la monnaie rouge des profits de guerre, affirment que la guerre servira à la défense de la patrie, de la démocratie, à la libération des peuples opprimés. Ils mentent. La vérité est qu’en fait ils ensevelissent, sous les foyers détruits, la liberté de leurs propres peuples en même temps que l’indépendance des autres nations. De nouvelles chaînes, de nouvelles charges, voilà ce qui résultera de cette guerre, et c’est le prolétariat de tous les pays, vainqueurs et vaincus, qui devra les porter. »
Et avec la guerre, il y a toujours les bobards de guerre. Léon Tolstoï, écrivant sur son monumental ouvrage « Guerre et Paix », disait avec lucidité : Les rapports de l’armée sont « le naïf et indispensable mensonge militaire sur lequel repose toute description. » On pourrait y ajouter aussi ceux des médias aujourd’hui. Et il posait la véritable question : « Pourquoi donc des millions d’hommes se sont-ils entretués, alors qu’aucun d’entre eux ne pouvait s‘en trouver mieux, et que tous étaient menacés de s’en trouver plus mal ? Qui leur a ordonné ? Pourquoi ont-ils fait cela ? Voilà la question qui, semble-t-il, se pose clairement à chacun. On peut faire et on a fait un nombre infini de déductions rétrospectives sur les causes de cet absurde événement, mais l’énorme quantité de ces déductions, tendant au même but, démontre qu’il y une infinité de causes et qu’aucune d’entre elles ne peut y être appelée la vraie cause. »
C’est pourquoi la Libre Pensée ne peut dire que : « À bas la guerre ! ». La guerre n’a jamais été une solution. Et les Génocides encore moins.
Comment ne pas constater aussi l’hystérie collective qui semble animer certains qui ne parlent que de paix et de dénonciation du terrorisme, alors qu’ils sont les premiers à le pratiquer, au moins médiatiquement et dotés d’une moralité douteuse, produit de leurs strabisme politique, contre toutes celles et tous ceux qui ne courbent pas l’échine devant leur propagande de guerre, en ayant sans cesse l’injure et la calomnie à la bouche ?

Les Libres Penseurs de l’isère qui ont organisé le congrès international
Comment ne pas penser à ce que disait un autre ecclésiastique au début du XXe siècle, l’Abbé Lemire (vous voyez que nous ne sommes pas sectaires) : « À certaines heures, quand on ne hurle pas avec les loups, ces loups deviennent des Hyènes. »
Face à cela, la Libre Pensée française proposera au Conseil international, qui se réunira demain à midi, que nous étudions collectivement quelle prise de position l’AILP doit prendre ou pas sur la question de la Palestine et du drame sanglant qui s’y déroule sous nos yeux impuissants.
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Vous voyez que ce ne sont pas les sujets qui manquent pour alimenter notre réflexion commune.
Je déclare ouvert les travaux du 9ème Congrès de l’Association internationale de la Libre Pensée.
Bons travaux à tous.
Christian Eyschen, Porte-parole de l’AILP

