De Vincennes à Japy : Abroger la loi Debré ?

Abroger la loi Debré ?

Nous enregistrons, non sans curiosité, un chœur grandissant et divers reprenant le mot d’ordre classique pour ne pas dire banal « Abroger la loi Debré ». Contrairement à ce que l’on pourrait croire, nous ne nous en satisfaisons pas.

Se prononcer pour l’abrogation d’un texte âgé de soixante-cinq ans, et dont tout le monde a pu voir qu’il permettait les plus grandes canailleries tant en termes de détournements financiers qu’en omerta sur les violences sexuelles, n’est pas d’une grande audace.

Certes, ici ou là, on enregistre quelques interventions se prononçant pour un retour à la loi originelle et qui sont bien en peine d’indiquer quand et comment la loi de 1959 a été dévoyée en machine à cash et machine à turpitudes sexuelles. Le ver était dans le fruit et le crime dans le texte. Aucune malformation autre qu’originelle. Ces interventions, rarissimes, sont pathétiques et ridicules. Mais nous ne les oublions pas. Elles vont au secours d’une loi condamnée.

Car cette loi est condamnée, non plus par la logique républicaine (« Fonds publics à la seule École publique »), non plus par les scandales s’abattant sur les défenseurs de ce texte (l’attitude de François Bayrou à propos de Bettharam n’a pas pesé peu dans le discrédit qui a entrainé sa chute), non pas dans le rejet massif du séparatisme des riches ; cette loi est condamnée, tout simplement.

Dire alors « Abroger la loi Debré » ne dépasse pas le stade du constat. Un peu comme l’arrivée de l’hiver fait que l’on sorte les écharpes. Mais peut-on qualifier une précaution météorologique de stratégie législative ? Ce n’est pas sérieux.

Quelles que soient les intentions (et nous sommes persuadés qu’elles sont bonnes) de tel ou tel de nos proches se prononçant seulement sur « Abrogation de la Loi Debré », il faut leur dire nettement qu’ils se fourvoient et pas qu’un peu.

C’est un peu comme dire « il pleut » sans prendre, par exemple, un parapluie.

C’est un peu comme dire « rage de dents » sans prendre rendez-vous chez le dentiste.

On pourrait multiplier les exemples et les comparaisons.

C’est le fameux couteau sans lame dont parlait Lichtenberger ?

Hélas, c’est bien pire.

C’est rester dans un cadre de pensée. Il y aurait un théâtre où se déroulerait la pièce de la loi Debré et, au fond de la scène, un personnage, comme le spectre dans Hamlet, qui psalmodierait « Abrogation de la Loi Debré », mais tout cela dans la même pièce, avec le même déroulement, dans le même théâtre. Cela ne change rien. Cela conforte la pièce et conforte la loi Debré. Un peu comme le pouvoir macronien et la comparaison s’impose, la loi Debré n’a pas plus d’ambition que de durer, de durer…

Insistons, quelle que soit la volonté (bonne, évidemment) de la personne se prononçant pour l’abrogation de la loi Debré, elle reste bien en deçà des nécessités. Des nécessités !

De même qu’on ne peut pas dire « Abrogation de la 5e République » sans dire « Constituante », on ne peut dire « Abrogation de la Loi Debré » sans dire « comment l’abroger ».

C’est un texte qui a ravagé non seulement le système scolaire, la République mais même les mœurs quotidiennes depuis des décennies. On ne peut passer cela par profits et pertes. Il faut dire « comment ».

Parler de divorce – car l’abrogation de la loi Debré est une forme de divorce – sans parler d’avocat et de jugement est impossible.

Parler d’abrogation de la Loi Debré sans dire « comment », sans parler du Plan de sortie proposé par la Libre Pensée depuis maintenant deux ans, c’est, qu’on le veuille ou non, rester dans le cadre de la loi Debré, de cette pièce se jouant sans discontinuer.

Pourquoi ne pas se prononcer sur le Plan de sortie ? Pourquoi l’ignorer ? Pourquoi ne pas le critiquer si on estime devoir le faire ? Le silence se remplit d’un contenu. Immanquablement. Pourquoi regarder ailleurs ?

Regarder ailleurs, c’est regarder vers la loi Debré. Cela est imparable. C’est une forme de conservatisme organisationnel qui prépare toujours un conservatisme intellectuel. C’est se préparer aux plus graves déconvenues.

Nous nous devons d’attirer fermement, mais amicalement l’attention de toutes et de tous sur ce grand danger.

Jean-Marc Schiappa